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Maniak-o-rama!

7 novembre 2010

Le Fantôme de Milburn

Ghost story
Etats Unis
1981
Genre: épouvante
Réalisation: John Irvin
Avec Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks Jr., John Houseman...

La “Chowder society” est un petit cercle composé de quatre notables approchants l’âge de la retraite. Ceux-ci se réunissent régulièrement afin de se raconter des histoires effrayantes.
Mais voici qu’un beau jour, l’un d’eux trouve la mort dans de bien étranges circonstances. Cette fin tragique aura de funestes conséquences pour la Chowder society qui se retrouve subitement confrontée à un passé qu’elle aurait préféré oublier…

Voici, résumé hâtivement, l’histoire qu’imagine Peter Straub dans son livre Ghost Story et dont les grandes lignes servent de base à l’élaboration du Fantôme de Milburn. L’adaptation est tout de même relativement fidèle au livre, tout en ayant recourt à d’obligatoires ellipses pour faire raconter le roman fleuve de Straub dans la durée réglementaire de 90 minutes. C’est le jeune réalisateur anglais John Irvin qui se charge de réaliser le film. Déjà réalisateur du très sympathique film de mercenaires Les chiens de guerre mettant en scène Christopher Walken et de quelques productions d’horreur pour la télévision anglaise, Irvin ne se retrouve donc pas tout à fait en terrain inconnu. Et force est de reconnaître qu’il ne s’en tire effectivement pas trop mal pour ce film là.
Ce qui marque en premier lieu, c’est cette atmosphère cossue qui met bien en valeur les vallées enneigées et les intérieurs lambrissés de la Nouvelle Angleterre. Pour un peu, on pourrait presque dire que Irvin parvient à faire revivre le charme suranné des films de la glorieuse Hammer. Et on peut à plus forte raison placer Le Fantôme de Milburn dans la lignée des films gothiques de la firme anglaise. Le réalisateur semble soucieux de réaliser un film d’épouvante “à l’ancienne”, préconisant une mise en scène sobre et classique, une mise en valeur des décors et une économie des effets spéciaux.
Pourtant ces derniers, signés Dick Smith, sont de très hautes tenues et n’ont que peu vieilli. On retiendra surtout les impressionnantes apparitions du fantôme et de son visage en état de décomposition. Soyons sûr qu’à l’époque de la sortie du film elles ont du faire leur petit effet.
Outre les décors et la parcimonie en matière d’effets sanglants, ce sont les acteurs, et principalement les quatre vieux héros, qui donnent à ce film cette allure classique. En effet, tous les quatre sont de vieux acteurs à la longue carrière ayant commencé leur métier sur les planches du théâtre. Le film bénéficie donc d’une interprétation de qualité, avec notamment la présence de Fred Astaire pour son tout dernier rôle !

Mais en dépit de toutes ces évidentes qualités, le film n’arrive jamais à susciter plus qu’un enthousiasme modéré chez le spectateur.
Ce fait est principalement dû à la mauvaise gestion du scénario. Le matériau de base était pourtant riche et audacieux. Le livre de Straub fourmillait d’idées excellentes et avait réussi à rendre passionnante de bout en bout une histoire aux multiples intrigues secondaires et aux enjeux nombreux. C’est dans ce système complexe mais cohérent de sous intrigues que le film se noie. Le scénariste a eu certes la judicieuse idée d’élaguer considérablement l’intrigue, mais ce faisant il lui a ôté une grande partie de sa saveur. Il a été obligé de conserver certains personnages pour la cohérence de l’intrigue principale, mais leur a ôté tout intérêt en supprimant leurs histoires personnelles du film. Ainsi des personnages comme Grégory Bates et son frère ne sont plus que de vagues seconds couteaux sous exploités. De même l’histoire du « fantôme » perd beaucoup de ses méandres tortueux qui lui donnaient tout son sel. Et là où Peter Straub avait réussi à créer dans son livre une créature inédite à la puissance effrayante n’ayant que peu de rapports avec les fantômes classiques, le film ne nous raconte finalement qu’une banale histoire de revenant comme il y en a tant d’autres.
Bref, Le Fantôme de Milburn reste un film plutôt distrayant qui vaut le coup d’être vu pour son atmosphère singulière, ses effets spéciaux honorables et son quatuor d’acteurs de grand talent. Toutefois l’ensemble reste quelque peu timoré et le film aurait grandement gagné à être moins sobre et plus ambitieux.

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7 novembre 2010

Jusqu'en Enfer

drag

Drag me to hell
2009
Origine : USA
Genre : Horrificomique
Réalisation : Sam Raimi
Avec : Alison Lohman, Justin Long, Lorna Raver, Dileep Rao...

Christine Brown est une employée de banque ambitieuse. Elle convoite le poste de directeur adjoint, et pour se faire bien voir de son patron, elle refuse un prolongement de prêt à une vieille gitane endettée dont les biens sont menacés par les huissiers. Mais la vieille ne l'entend pas de cette oreille et pour se venger elle lance une malédiction sur la malheureuse employée de banque...

Derrière ce pitch simplissime se cache le « grand retour » de Sam Raimi. Le réalisateur américain avait en effet débuté sa carrière en réalisant des films d'horreur à petits budgets, dont le désormais fameux Evil Dead auquel toute une horde de fans voue un culte (à raison il faut bien le dire, le film étant une petite perle du genre). Mais après ses débuts "evildeadesques" Raimi avait tenté de prouver qu'il était capable de réaliser autre chose que de l'horreur et il a multiplié les projets avec plus ou moins de succès, signant un western fade (Mort ou vif en 1995) par ci ou un excellent polar (Un Plan Simple en 1998) par là. Il est toutefois devenu quelqu'un de plus en plus "bankable" pour les studios hollywoodiens puisqu'il réalise finalement son premier blockbuster pour la bagatelle de 139 millions de dollars avec Spider-Man. Devenu un réalisateur respectable, Raimi enchaine les Spider-Man au grand dam d'une part de ses fans de la première heure, et finit par réaliser le troisième Spider-Man pour un budget de 258 millions de dollars, c'est alors le film le plus cher jamais réalisé, mais pas le moins rentable puisqu'après seulement deux semaines d'exploitation il atteint les 500 millions de recettes...
Mais pendant tout ce temps, le réalisateur n'a pas oublié ses premières amours puisqu'il fonde la société Ghost House pictures via laquelle Raimi continue de produire des petits films d'horreur (dont son propre film qui nous intéresse ici). Cela dit, on peut quand même s'interroger sur l'utilité de cette maison de production tant son activité semble se borner à produire des remakes de films japonais (The Grudge et sa suite) et des slashers ineptes (Boogeyman et sa suite) et au final seul le récent 30 jours de nuit semble valoir un rapide visionnage dans la filmographie de Ghost House...
Bref, que penser du « retour » de Raimi au film d'horreur à petit budget maintenant qu'il est devenu un faiseur de blockbusters et un producteur loin d'avoir le nez creux ?

Et bien rien du tout, puisque tout les espoirs qu'avait pu susciter ce Jusqu'en enfer sont hélas rapidement déçus. Présenté comme tel, il s'expose directement à la comparaison avec les trois Evil Dead et je ne vais pas me gêner pour le faire et constater que le dernier né de Raimi le supporte bien mal.

Déjà, je passe rapidement sur la notion toute relative de petit budget puisque le film bénéficie quand même de 20 millions de dollars, ce qui est certes très éloigné des 258 de Spider-Man 3 mais comparé aux 350 000 $ de Evil Dead ça reste bien plus confortable et je ne sais pas si l'on peut encore légitimement parler de Série B à ce niveau. En tout cas cela se voit à l'écran et le film bénéficie d'effets spéciaux qui ne sentent pas le système D de ses premiers films, ils sont soignés, virtuels, et finalement assez nombreux même s'ils ne sont guère démonstratifs. Cela dit, aspects techniques mis à part, j'émettrais tout de même pour ma part de grosses réserves sur leur réussite. En effet toute inventivité semble avoir disparue des effets spéciaux de Raimi. Comme souvent, on dirait qu'il existe une sorte de lien entre la « confortabilité » budgétaire et l'effort investi dans la création d'effets inventifs et originaux. Qui plus est, je trouve que la réussite technique des effets spéciaux est un défaut intrinsèque puisqu'ici on arrive à des visuels vraiment très proprets et très lisses et, même quand on voit la vieille sorcière vomir un filet translucide de liquide, il est difficile d'y voir une bile bien verdâtre et poisseuse apte à répugner les spectateurs les plus aguerris. C'est ainsi que le plupart des effets du film tombent très vite à plat. D'autant plus que depuis le troisième Evil Dead qui avait finit la saga de manière plutôt triste en se vautrant grassement dans l'humour tous azimuts, Raimi semble considérer que cet humour "cra cra" est désormais devenu une composante essentielle du cinéma d'horreur, et il en rajoute encore une couche ici, profitant notamment du dentier de la vieille sorcière pour multiplier les gags le concernant. Mais à vouloir trop en faire, on ne rit plus. Et on n'a plus peur non plus. Le film est remarquablement exempt de toute tension. En effet, comment faire peur si toutes les 5 minutes un gag survient ? Le seul moyen est de recourir au vieux truc de l'apparition soudaine avec musique qui fait zing boum badaboum très fort pour effrayer le spectateur. Du coup, plein plein d'effets « jack in the box » avec des démons et des sorcières qui surgissent sans prévenir, qui font sursauter pendant un quart de seconde et c'est tout. Pas d'ambiance, pas d'atmosphère inquiétante apte à distiller l'angoisse sur la durée, rien. Le film est très fade et abuse des effets comiques ou d'horreur déjà vu. Qui plus est, trop occupé à établir une balance parfaite entre ses moments drôles et ses moments effrayants, Raimi ne laisse plus aucun espace pour l'improvisation, pour l'innovation, pour ces petits moments sublimes ou le spectateur se retrouve face à l'inconnu total. Le film ressemble à une belle mécanique huilée, à l'efficacité prouvée déjà un million de fois, mais qui ne fonctionne plus parce qu'elle a fini par lasser. L'incroyable réussite des deux premiers Evil Dead tenait dans le fait qu'avec des ingrédients connus (possessions, zombies et tronçonneuses) Raimi avait élaboré une toute nouvelle recette, à l'inventivité et à la modernité incroyable. Ici il se contente de prendre des ingrédients vaguement nouveaux pour tenter de camoufler le fait qu'il se repose sur une recette éculée que tout ceux qui ont déjà vu plus d'un film d'horreur connaissent déjà.
Et on observe ce phénomène à tous les niveaux du film. Pour la mise en scène c'est pareil. Techniquement irréprochable, mais où est l'originalité et l'inventivité qui avaient fait le succès des premiers Raimi et qui avaient même permis aux Spider-Man de leur conférer une efficacité qui les distinguait de la masse des autres blockbusters signés par des yes-man? Raimi semble se reposer sur ses lauriers et n'expérimente plus rien, c'est tout juste s'il tente un cadrage un peu oblique sur son héroïne à tel moment ou s'il fait tourner sa caméra à tel autre moment. Plus grave encore, ces rares moments semblent plus ressembler à des auto-citations d'un réalisateur qui pour le coup tente vraiment de refaire ses premiers films en en reprenant uniquement les gimmicks retenus par la presse et les spectateurs sans essayer d'en retrouver la substantifique moelle responsable de leur réussite.
Le casting est au diapason et ne parvient pas à nous convaincre. Alison Lohman l'héroïne joue les scream queens tandis que Justin Long (pourtant très bon dans Jeeper Creepers) brille par son inutilité dans l'histoire. Le pire, c'est peut-être ces seconds rôles bien représentatifs du manque total d'ambiance du film. Même le mystérieux diseur de bonne aventure est un gros indien barbu et affable. Tandis que Lorna Raver qui joue la méchante se contente de grimacer derrière son maquillage, comptant sans doute sur tous les effets annexes (musique, éclairage, etc) pour que la peur se crée. Raté.
Bref au final pas grand chose à sauver de ce film, hormis peut-être le score signé Christopher Young (auteur de la musique des Hellraiser notamment). Pourtant, on aurait tort de dire qu'il n'avait pas de potentiel. Rien que le scénario mêlant anciennes croyances tziganes et malédiction biblique aurait pu être incroyablement passionnant sous la plume d'un auteur tel que Graham Masterton passé maître dans l'art de réutiliser ce type de légende pour ses récits d'horreur. Mais ici le scénario n'est que prétexte à un tour de montagnes russes dont on connaitrait déjà le circuit. D'autant plus que quand on gratte un peu derrière les seuls moments ou le scénario semble cacher quelque chose de plus intéressant, c'est pour découvrir une petite fable moraliste confondante de bons sentiments chrétiens, où si l'on résume on trouve une employée de banque condamnée à l'enfer parce qu'elle a mal agi envers une personne âgée...

Bref, passez votre chemin et économisez votre argent pour voir un autre film, c'est bien plus sage en ces temps où la crise fait rage et où le prix du dvd de Evil Dead 2 est en baisse...

7 novembre 2010

Tokyo Gore Police



Tôkyô zankoku keisatsu
2008
Origine : Japon
Genre : Gore
Réalisation : Yoshihiro Nishimura
Avec : Eihi Shiina, Itsuji Itao, Yukihide Benny, Jiji Bû,...

J'avais déjà eu l'occasion de brièvement parler de Yoshihiro Nishimura sur ce beau site à l'occasion de la chronique du très bon Meatball Machine. En effet, Nishimura était responsable des maquillages et du look destroy des vilains humanoïdes du film. Le maquilleur japonais est par ailleurs cité au générique d'une trentaine de films pour en avoir réalisé les maquillages et les effets spéciaux, parmi lesquels nous pouvons citer l'expérimental Rubber's lover de Shozin Fukui, ou les étranges mais sublimes Suicide Club et Noriko's Diner Table de Sono Sion, ou encore le tout récent Machine Girl de Noboru Iguchi.
Mais si je vais reparler de Nishimura aujourd'hui ce n'est plus cette fois-ci en tant que maquilleur ou responsable des effets spéciaux (encore qu'il occupe aussi ces postes dans le cas qui nous concerne) mais bel et bien en tant que réalisateur, puisqu'il signe avec Tokyo Gore Police son premier long métrage.
Lequel porte très bien son nom puisqu'il est effectivement question de la police de Tokyo et que le moins qu'on puisse dire c'est que c'est plutôt vilainement gore. De quoi réjouir les amateurs d'hémoglobine et d'ultra-violence sur celluloïd.
Dans le film, nos braves policiers Tokyoïtes sont en réalité les membres d'une milice privée qui s'est substituée à la police nationale dans la ville de Tokyo et qui enchaînent les bavures en tout genre sans davantage s'en inquiéter. D'autant plus qu'ils se retrouvent en guerre contre des criminels mutants, qui ont la particularité de pouvoir faire pousser une arme mortelle de chacune de leurs blessures. Dans les rangs des policiers se trouve Ruka, une jeune femme troublée et hantée par le souvenir de son père, un policier mort la tête explosée par un coup de revolver. Elle participe avec un zèle tout particulier à l'extermination des criminels mutants jusqu'au jour où elle est lancée sur la piste d'un tueur en série qui saigne et démembre ses victimes avant de les abandonner, bien rangées dans un carton, sur les lieux de son crime...


Vous l'aurez compris, Tokyo Gore Police est un de ces nombreux film gore déjanté qui nous arrive tout droit du Japon. Pur film de genre, il réutilise et recycle avec bonhommie tous les codes propres à ce cinéma là. Cependant, le but du film n'est pas ici de distiller le malaise mais au contraire d'installer une ambiance bon enfant à l'aide d'effets gores variés et originaux, de mises à mort qui font rire par leur caractère outrancier et exagéré et surtout de personnages frappadingues et déjantés tant dans leur look (le méchant qui se promène le cerveau à l'air et dont les orbites sont ornées de deux canons lance-yeux !) que dans leurs attitudes (le chef de la police, ou encore l'héroïne qui se propulse en haut des immeubles à l'aide de bazookas...). C'est sans surprise que l'on constate que le film, mis en scène par un maquilleur, accorde une place de choix aux très nombreux effets spéciaux qui viennent éclabousser l'écran. Ils constituent en effet l'intérêt majeur du film et bénéficient dès lors d'un soin tout particulier. Malgré le budget que l'on devine très faible, le film déploie donc un panel extrêmement varié d'effets gores et de créatures bizarres. Démembrements, décapitations et autres mutilations bénéficient de nombreux gros plans, de changements d'axes et de quantités d'effets destinés à les mettre en valeur. Qui plus est, ils sont de manière générale très bien réalisés et le tout à base de carton pâte et de mousse de latex, ce qui leur donne une véritable consistance à l'écran que n'ont souvent pas les effet virtuels. Ces derniers ne sont cependant pas absents du film, mais les CGI sont utilisés avec parcimonie et uniquement lors de scènes qui n'auraient pu être réalisées telles quelles (le combat entre Ruka et la femme tronc). Mais en dehors de cela le film est plutôt old school, ce qui est très apprécié en ces lieux et fait du bien aux yeux, il faut bien l'avouer. Ainsi, c'est avec plaisir que le cinéphile constatera le recours à des effets d'animation image par image qui ne sont pas sans rappeler les splendides effets du premier Terminator ou de Evil Dead. Mais si on laisse les aspect les plus techniques de coté, il faut aussi avouer que esthétiquement tout ceci est vraiment très bien et très beau pour peu que l'on soit sensible à ce type d'effets spéciaux. Le réalisateur empruntant beaucoup au style manga pour créer ses effets, mais aussi au chambara (film de sabre costumé) et les nombreuses mutilations qui occasionnent de véritables geysers de sang ne manqueront pas d'évoquer la saga des Baby Cart dans l'esprit du cinéphile de bon goût. De la même manière, il utilise largement l'exagération en multipliant les gerbes de sang, à la fois pour provoquer la distance nécessaire pour pleinement apprécier au premier degré de tels effets mais aussi pour revendiquer clairement et sans équivoque l'appartenance de son film au genre « gore », les membres coupés vomissant le sang venant littéralement repeindre la caméra qui sera à de très nombreuses reprises éclaboussée de sang. Tokyo Gore Police n'a absolument pas d'autre prétention que d'être un film gore distrayant et s'adressant de fait avant tout aux amateurs du genre. Enfin, Yoshihiro Nishimura prend également bien soin du rythme de son film et agence tous ces effets de manière intelligente dans l'histoire afin d'éviter la redondance et la mollesse qui caractérisent bien trop souvent les films gores.

Mais outre les effets sanglants Tokyo Gore Police contient aussi une très belle galerie de freaks particulièrement originale et créative. Les mutants sont nombreux et bénéficient tous d'un look d'une coolitude absolue. La palme revenant sans doute à cette stripteaseuse coupée en deux dont le bas du corps se transforme en une bouche carnassière hérissée de dents ! Mais il y a aussi un mutant avec un bras-tronçonneuse, une écolière avec un bras-cutter, des femmes aux yeux exorbités, etc...  Nishimura semble s'être fait plaisir et nous présente toute une galerie de mutants bien gluants comme on en avait plus vu de puis les films de Brian Yuzna et Stuart Gordon.
Mais si ce sont donc ces effets spéciaux qui constituent l'intérêt majeur du film, il serait injuste de réduire son scénario à un simple prétexte destiné à nous les montrer. En effet, non seulement le scénario apporte au film une véritable cohésion d'ensemble dont la narration permet d'éviter l'ennui et la redondance du gore, mais il se base aussi sur une réalité sociale pour nous raconter une histoire. Et, un peu à la manière de Paul Verhoeven, Yoshihiro Nishimura n'hésite pas à intégrer dans son film des fausses publicités et des faux extraits de films de propagande pour dénoncer les travers de la société japonaise, traiter du problème du suicide, de l'insécurité et finalement nous décrire par ce biais l'état d'une société asservie par une police toute puissante qui n'aurait à rendre de comptes devant aucun contre pouvoir. Le look des policiers du film, un croisement entre la tenue traditionnelle du guerrier médiéval japonais, du costume des juges de Judge Dredd et de l'aspect massif du Robocop de Paul Verhoeven, justement, vient renforcer cette impression que dans le film ce ne sont pas les mutants, mis au ban de la société, qui sont les véritables méchants.

Mais ces aspects visent surtout à donner un peu plus d'épaisseur et d'intérêt au scénario. Ils ne font pas pour autant de Tokyo Gore Police un film politique. Bien au contraire, le film de  Nishimura reste un petit film bis actuel, généreux et sans prétention. Mais il n'en est pas moins réussi pour autant. Au contraire en faisant preuve d'une grande créativité et d'un sens aigu du rythme, il parvient à réussir haut la main là où des films comme le récent Planète terreur avaient échoué.

Bref, Tokyo Gore Police est un petit film gore tout à fait sympathique qui tient ses promesses et s'avère parfaitement divertissant.

7 novembre 2010

La vie aquatique

vie

The Life Aquatic with Steve Zissou

2004.
Origine : États Unis
Genre : Comédie dramatique
Réalisation : Wes Anderson
Avec : Bill Murray, Owen Wilson, Cate Blanchett, Willem Dafoe, Anjelica Huston...

Wes Anderson est un de ces très grands réalisateurs qui parviennent a créer un univers qui leur est propre à chacun de leurs films. J'ai découvert ce réalisateur assez tardivement avec le sublime A bord du Darjeeling Limited que j'étais allé voir avec émerveillement après avoir été intrigué par sa bande annonce. Bien qu'étant un réalisateur des plus commerciaux aux États Unis (il est produit par Disney quand même) il faut avouer que de notre coté de l'atlantique il jouit d'une renommée bien plus timide, mais une petit renommée tout de même qui a justement commencé réellement avec La Vie aquatique qui nous intéresse ici.
Il est vrai que le cinéma de Wes Anderson est assez inclassable, protéiforme, voire insaisissable même. En tout cas il m'avait laissé muet d'admiration après A bord du Darjeeling Limited ce qui n'est pas rien. Mais revenons à La Vie aquatique, précédent film du monsieur.

Ça raconte les aventures de Steve Zissou, personnage sympathique qui porte la triple casquette, ou plutôt le triple bonnet en l'occurrence, de réalisateur, d'océanographe et d'aventurier. Il est accompagné d'une singulière équipe faite de fidèles qui le suivent depuis longtemps, de stagiaires bénévoles, d'une journaliste enceinte et de Ned, un type dont je vous laisse découvrir l'importance dans l'histoire. En compagnie de tout ce beau monde, il part à la recherche du requin-jaguar pour aller l'exploser à coup de dynamite parce que ladite bestiole a boulotté son meilleur ami lors du tournage d'un documentaire...
Voilà, on en dira pas plus pour ne pas déflorer l'intrigue. Si ce n'est que cette histoire de requin-jaguar est bien évidemment un Mac Guffin (ceux qui ne connaissent pas Hitchcock iront chercher sur internet ce que ça veut dire) qui entraîne les personnages du film dans une suite d'aventures rigolotes, tragiques, tendres, tristes et belles comme la vie.

Bon alors tout ça s'inspire évidemment du personnage de Cousteau mais Anderson se le réapproprie totalement pour faire de son film quelque chose d'autre, qui ne ressemble à rien de connu et semble échapper à toute tentative de classification. Encore qu'on pourrait y trouver bon nombre de thèmes qui parsèment toute l'œuvre du cinéaste dont le plus évident est la famille. Une famille étrange dont les liens qui unissent ses différents membres ne sont jamais tout à fait de sang mais dont les rapports sont profondément humains et sincères. Et de l'autre coté de la caméra, on trouve aussi une famille, celle dont Wes Anderson s'entoure pour ses tournages. Et parmi ses membres les plus importants il y a bien sûr le formidable Owen Wilson, acteur et co-scénariste dans tous les précédents films de Anderson. Mais il y a aussi le fantastique Bill Murray qui suit le cinéaste depuis Rushmore en 1998 et Anjelica Huston présente dans La Famille Tenenbaum.
Mais finalement ce ne sont ni les thèmes du film ni ses acteurs formidables au demeurant qui font de lui cette petite perle qui brille d'un éclat si vivace. Non, si La Vie aquatique parvient à se démarquer à ce point c'est surtout grâce à une mise en scène complètement géniale et surtout éminemment cinématographique ce qui, je ne vous le cache pas, fait énormément de bien aux yeux en ces temps où le gros plan télévisuel et le montage fadasse qui va avec semblent devenir peu à peu la norme. La Vie aquatique c'est du cinéma donc, et du bon. Anderson s'amuse comme un fou en faisant des plans extrêmement sophistiqués mais dont l'évidence et la pertinence leur donnent une apparente simplicité très efficace. Il use avec intelligence de tout le panel d'outil à la disposition du réalisateur, cadrage, montage, musique, ... pour faire de son film un petit bijoux de mise en scène. Et cette sophistication ne verse jamais dans l'ostentatoire, ni même ne peut réellement être distinguée du scénario tant tout est intelligemment imbriqué. Anderson use de la mise en scène comme un formidable outil narratif et émotionnel, soit exactement ce que devrait être le cinéma. Rien que l'extraordinaire palette de couleurs utilisée harmonieusement par le film. La Vie aquatique c'est beau. Les effets spéciaux du film, utilisés pour recréer toute une faune sous-marine complètement inventée, sont particulièrement merveilleux et se placent à des lieux au dessus de tout l'attirail d'effets pseudos réalistes utilisés très largement par tous les films dit du « cinéma du réel » (soit au bas mot facilement 90% de la production...) qui s'efforcent par tous les moyens de singer une réalité sans relief et de se plier à ses lois alors qu'il est tellement plus beau de faire preuve de créativité et d'imagination. Signés Henry Selick (réalisateur de James et la pèche géante et de L'Étrange Noël de Mr Jack) ils remplissent parfaitement leur office, notamment lors d'un final sublime et émouvant. La Vie aquatique, c'est de la poésie.
Mais au-delà des effets spéciaux, c'est toute l'histoire qui baigne dans une douce absurdité qui l'inscrit  indiscutablement et manifestement dans le domaine de la fiction. Jamais Anderson ne cherche à nous montrer quelque chose qui s'approche un tant soit peu de la réalité, et sacrifie le réalisme à la narration. Son film est finalement l'un des seuls actuels qui tente vraiment de nous raconter une histoire, et pas de verser dans une surenchère de spectaculaire. Et le plus beau dans tout ça, c'est que c'est totalement gratuit, le film n'a pas de message à faire passer ni de grand discours à clamer, c'est de la fiction pour le plaisir de rêver, qui fonctionne uniquement via la suspension volontaire d'incrédulité sur le plaisir que retire le spectateur à se perdre dans les méandres de l'irréel. Mais ce n'est pas parce qu'on baigne dans l'irréel que Anderson ne soigne pas ses personnages. Au contraire, si l'histoire appartient du domaine de la fiction les personnages eux sont criant de vérité et possèdent une épaisseur psychologique propice à faire ressentir un panel d'émotion très large aux spectateurs. En effet, les personnages constituent même le véritable cœur de l'intrigue, qui se tisse autour de leurs relations et interactions. La structure du film se compose en réalité d'un ensemble de petites scénettes parfois drôles, parfois plus graves, parfois les deux à la fois, mais toujours colorées, qui s'enchaînent avec un naturel et une logique époustouflante, ce qui donne au film une vraie cohérence d'ensemble et ne le fait pas ressembler à un rassemblement de sketches disparates. Ce qui est paradoxal c'est que malgré cette forte homogénéité, ce qui se dégage du film une fois fini c'est une sorte de fatras merveilleux, à la fois très harmonieux et complètement chaotique, un ensemble de sentiments antinomiques et extrêmement variés, de couleurs chatoyantes et pastel. La Vie aquatique, ça ne ressemble à rien, c'est unique, c'est formidable tout simplement.

7 novembre 2010

Embodiement of Evil



Encarnação do demônio. 2008.
Origine : Brésil
Genre : Horreur
Réalisation : José Mojica Marins
Avec : José Mojica Marins, Rui Resende, Jece Valadão, José Celso Martinez Corrêa...

Il est de retour! Zé du cercueil, le personnage le plus célèbre du cinéma d'horreur brésilien revient dans Encarnação do demônio (littéralement « L'incarnation du démon » : le film étant encore inédit dans l'hexagone à l'heure où j'écris ces lignes, il ne dispose pas encore de titre français). Toujours réalisé et interprété par José Mojica marins, créateur du personnage, le film se veut la dernière partie d'une trilogie entamée en 1964 avec A minuit je posséderai ton âme et poursuivie en 1966 par Cette nuit je m'incarnerai dans ton cadavre. José Mojica Marins éclipse donc les autres apparitions du personnage dans l'excellent L'Éveil de la bête et Délires d’un anormal dans lesquels Zé n'était finalement réduit qu'à une figure cauchemardesque hantant les cauchemars des protagonistes et ne participait pas à la narration en tant que personnage, pour nous conter une vraie nouvelle aventure de son fossoyeur mégalomane et sadique. Encarnação do demônio reprend les mêmes ingrédients que les deux films précédents pour les insérer dans un contexte plus moderne. Le film débute alors que, après avoir passé 40 ans dans une prison de São Paulo, Zé du cercueil est enfin libéré. Mais les années passées en prison ne l'ont pas changé et le fossoyeur aux ongles démesurés est toujours déterminé à trouver la femme parfaite destinée à assurer la continuité de sa lignée. Il va donc encore une fois user de « tests » particulièrement cruels et sadiques pour choisir son élue...

A l'origine du film on trouve le producteur Paulo Sacramento qui fait partie de la maison de production brésilienne Olhos de Cão, le scénariste Dennison Ramalho et José Mojica Marins. Ensemble ils retravaillent un script écrit en 1966 par José Mojica Marins et qu'il n'avait jamais eu l'occasion de tourner malgré plusieurs tentatives. Leur ambition est de livrer un nouveau film de Zé du Cercueil qui reprenne à l'identique toute la mythologie du personnage établie dans les deux précédents films, mais aussi d'en faire une production résolument moderne capable de rivaliser avec les films d'horreur actuels techniquement et artistiquement, ne serait-ce que sur le terrain de la violence et des effets spéciaux. Une ambition dans la droite lignée des motivations qui avaient poussé Marins à réaliser les premières histoires de Zé du Cercueil : en effet il avait alors pour objectif de donner au Brésil une icône horrifique comparable à ce que représentaient Dracula ou la créature de Frankenstein pour le cinéma et l'imaginaire Occidental. Et si la dimension underground et encore très amateur de A minuit je posséderai ton âme marquait les balbutiements d'un cinéma d'horreur de nationalité Brésilienne, l'éclatante réussite de Encarnação do demônio lui donne ses lettres de noblesse.

Ainsi, malgré son âge avancé (72 ans tout de même) José Mojica Marins s'investit dans ce projet avec le soutient des producteurs de Olhos de Cão et Gullane Filmes qui lui permettent de bénéficier d'un budget particulièrement confortable apte à concrétiser toutes les idées folles du génial réalisateur brésilien.
Avec une conscience aiguë des attentes du public, Marins déconstruit la structure très rigide de ses deux premiers films (basés sur une première partie qui montrait les exactions de Zé et sur une seconde partie qui l'envoyait dans un enfer surréaliste et psychédélique) et dynamise la narration par l'introduction d'obstacles à la quête sanglante de Zé en la personne d'un Colonel de police anciennement victime du fossoyeur et d'un moine désireux de venger son père assassiné. En outre, la narration du film est perturbée par l'apparition des spectres des victimes de Zé qui constituent, comme les personnages du moine et du colonel, des références directes aux deux premiers films, et qui permettent ainsi de véritablement inscrire Encarnação do demônio dans une mythologie propre à Zé du Cercueil.
Le personnage principal n'ayant d'ailleurs pas changé d'un iota entre le dernier film et celui-ci. Il a vieilli certes mais a toujours les mêmes obsessions, il combat toujours avec autant d'acharnement l'obscurantisme et est toujours aussi mégalomane et sadique. De même, ses ongles sont toujours aussi démesurément longs et tordus et il a conservé sa cape et son chapeau haut-de-forme. Et c'est avec plaisir que le fan des premiers films que je suis a pu retrouver le charisme du personnage intact malgré les années. La vieillesse ayant même rendu le personnage plus effrayant et plus fascinant. Il faut le voir à sa sortie de prison, la barbe hirsute et l'œil mauvais.
Et puis le personnage a aussi gardé sa propension à déclamer avec conviction des phrases chocs sur la vie, l'immortalité et le sang. Le film finissant par regorger de monologues et de punch-lines amusantes.

Il comporte en outre des séquences extraites des deux précédents films, par ailleurs très habilement complétées de nouvelles images, en noir et blanc également, et où un autre acteur que José Mojica Marins vient endosser le costume et les griffes de Zé pour apporter de nouveaux éléments absents des anciens films. Ces quelques nouvelles séquences sont très bien intégrées et feront non seulement parfaitement illusion auprès des spectateurs qui n'ont pas encore vu les précédents films mais feront aussi douter ceux qui les ont vu ! En plus du caractère irréprochable de ces scènes sur le plan technique, il est assez saisissant de voir que Marins parvient à recréer d'emblée la même atmosphère empreinte de cinéma gothique classique, d'exotisme et d'éléments psychédéliques très années 60 lors de ces très courts flash-backs.
Le présent du film occulte par contre complètement ce coté gothique, devenu désuet avec le temps, alors qu'au contraire il garde la dimension très gore qu'avaient les premiers films à leur époque. Et si ces derniers n'ont plus cet aspect excessivement violent aujourd'hui avec l'évolution qu'ont connu aussi bien les effets spéciaux que le degré de violence au cinéma, Encarnação do demônio est bel et bien un film moderne tant ces effets spéciaux apparaissent à la fois comme très réussis et excessivement violents. Le film ne lésine pas sur le gore et offre un panel de tortures véritablement impressionnantes et très réalistes sans pour autant qu'elles ne versent dans une surenchère idiote ni qu'elles ne soient conçues dans le but de choquer le public adolescent comme cela semble être la norme actuellement. Dans le film, le responsable des effets spéciaux André Kapel semble avoir avant tout misé à la fois sur la diversité, l'originalité et le réalisme, et ce dans le but de divertir le spectateur en l'impressionnant. Certaines scènes étant en effet véritablement impressionnantes même pour les amateurs de cinéma gore habitués à ce genre de spectacle. Je pense notamment au passage où une victime de Zé est pendue par des crochets enfoncés sous la peau et à celui où des femmes se font coudre les lèvres, qui semblent mettre en scènes des adeptes du piercing et de la scarification ou des fakirs, au vu de leur réalisme effrayant.


Autre différence notable avec les deux précédents films, le petit village empreint de traditions dans lequel évoluait Zé est à présent remplacé par São Paulo et ses favelas. L'occasion pour Marins de filmer ces superbes scènes où Zé, avec sa cape, son chapeau haut-de-forme et ses ongles tordus arpente des rues d'aspect très moderne en compagnie de son assistant bossu Bruno (qui fait immédiatement penser au Igor de la mythologie de Frankenstein). Il crée d'emblée un décalage intéressant qui fait basculer le film dans le genre fantastique comme si Zé était un personnage issu d'un film gothique faisant soudainement irruption dans notre réalité. On retrouve d'ailleurs un soin particulier à l'établissement progressif d'une réalité alternative et fantastique dans le film, notamment par l'apparition récurrente des fantômes. Ils sont d'abord de simples hallucinations et seul Zé les voit, puis le film franchit une frontière à la fin en permettant à un autre personnage que Zé de voir les fantômes, leur donnant par la même une existence tangible.
Encarnação do demônio explore de manière très riche les thèmes mis à disposition par le cinéma fantastique et d'horreur, fantômes, vengeance, tortures, meurtres, zombies, apparitions mystiques et créatures répugnantes sont au menu. Cette richesse thématique s'inscrit autant dans une volonté manifeste de satisfaire les attentes du spectateur en réutilisant des thèmes et codes du genre à fort potentiel divertissant (et en cela Encarnação do demônio est sans doute l'un des seuls vrais films « bis » actuel) que dans une intention de rendre hommage au genre fantastique. Sur ce dernier point, le final du film se révèle notamment d'une grande habileté en donnant au personnage de Zé du cercueil le statut d'icône du fantastique dans le film même, ce qui lui permet de devenir aussi réel dans l'imaginaire des personnages du film que dans celui des spectateurs qui se prennent au jeu. José Mojica Marins touche ici à l'âme même du cinéma fantastique en donnant une existence réelle à son personnage fantastique via la suspension volontaire d'incrédulité. De nombreuses scènes peuvent ainsi être rattachées à la dimension « d'hommage » que revêt le film, les flash-backs issus des précédents métrages avec Zé du Cercueil évidemment, mais aussi la présence de l'assistant bossu, et tout le décor du l'antre de Zé qui, avec son trône décoré de crânes et ses ornements funéraires, a cet aspect très factice propre au décor de cinéma qui jure de manière très intéressante avec les extérieurs de São Paulo qui ont un aspect réaliste très imposant.
La manière dont la dimension fantastique est traitée et l'importance toute particulière que Marins apporte aux éléments visuels forts dans son film en sont les aspects les plus intéressants. Le look des fantômes qui viennent hanter le fossoyeur maudit est particulièrement soigné. On retiendra notamment cette femme qui avait vu à sa grande horreur son corps parcouru par une myriade de mygales revenir ici sous la forme d'un fantôme éventré dont les viscères noirs et fumants laissent échapper les mêmes arachides qui viennent cette fois tourmenter Zé. Et comment aussi ne pas parler de la désormais inévitable scène psychédélique ? Ce type de scène au travers duquel le génie iconoclaste de José Mojica Marins trouvait sa plus belle expression comme dans Cette nuit je m'incarnerai dans ton cadavre et sa scène en couleur d'un enfer coloré, sublime et enneigé et dans L'Éveil de la bête et ses délires hallucinatoires marqués par le LSD. Dans Encarnação do demônio ce n'est plus l'enfer qui nous est montré mais une sorte de purgatoire où les âmes damnées s'entre-dévorent et se crucifient sous l'œil cynique d'un dieu mystificateur qui n'hésite pas à embrasser goulument la Mort représentée par un personnage anorexique et halluciné... D'une grande originalité et visuellement splendide, cette scène ravira tous les amateurs de cinéma pas normal et fait de Encarnação do demônio un film au charme particulier.


Proposant à la fois des éléments horrifiques variés aptes à séduire un public d'amateurs du genre, un vrai parti pris cinématographique d'hommage au genre fantastique dans son acceptation la plus large et une volonté artistique de créer quelque chose d'à la fois très beau et particulièrement original, Encarnação do demônio s'impose aisément comme l'une des production horrifiques les plus intéressantes de la décennie. Et son approche, faite d'une part de réutilisation de codes très spécifiques à un genre et d'autre part d'une volonté de proposer du cinéma moderne sans artifices, lui donne une authenticité et une fraîcheur éminemment appréciables.
Enfin, le film marque le retour à la réalisation plus de vingt ans après son dernier film d'un auteur qu'on attendait plus, et on serait bien tentés d'espérer le voir réaliser un nouveau film mettant en scène Zé du Cercueil si ce dernier film n'apparaissait pas comme le chef d'œuvre définitif de cet étrange réalisateur qu'est José Mojica Marins.

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7 novembre 2010

Two Lovers

TwoLovers

2008

Origine: USA
Genre: Drame romantique
Réalisateur: James Gray
Avec: Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw, Isabella Rossellini…

Two lovers est un petit film plutôt étonnant qui dénote assez particulièrement dans la filmographie de son auteur. En effet, non seulement le jeune réalisateur d'origine russe James Gray nous avait jusqu'à présent habitué à ses films de mafieux, mais en plus il était resté très peu prolifique, laissant s'écouler de longues périodes entre chacun de ses films (6 ans séparent  Little Odessa de The Yard et 7 ans séparent ce dernier du récent La Nuit nous appartient). Mais voilà qu'à peine un an après son dernier film, Gray repasse derrière sa caméra pour tourner ce qui semble être au premier abord un énième film romantico-pouet-pouet destiné à faire pleurer la ménagère et se pâmer la midinette devant le beau Joaquin Phoenix. Heureusement il n'en est rien, et sans roublardise aucune Gray réalise quelque chose de très intriguant et même de très joli.

S'inspirant d'une nouvelle de Dostoïevski, le synopsis du film est pourtant simplissime et semble marqué par les habituels clichés propres à la comédie romantique:
Après une déception sentimentale, Léonard revient vivre chez ses parents qui aimeraient bien que leur fils épouse la brune Sandra, dont le père s'apprête à racheter l'entreprise familiale. Bien que la jeune femme ne le laisse pas indifférent, Léonard est bien plus séduit par la blonde Michelle qui a emménagé il y a peu dans le même immeuble que lui... Qui va-t-il choisir?

Si la situation décrite dans ce pitch peut paraître cousue de fil blanc et empreinte de situations irréalistes, Gray arrive avec une simplicité désarmante à faire passer la pilule en concentrant son attention sur des personnages très bien écrits, qui bénéficient tous d'une épaisseur psychologique conséquente. Leurs réactions sont toujours très crédibles et le film ne souffre d'aucune incohérence à ce niveau là. Cette crédibilité donne un cachet indéniablement réaliste à l'intrigue et autant de poids aux sentiments qu'évoque l'histoire. Cela permet également d'inscrire le film dans une ambiance sérieuse et grave, pour le moins éloignée de ce que l'on a l'habitude de voir dans le genre. Loin d'être comique, Two lovers n'en est pas pour autant un mélo versant dans le pathos à outrance. Le ton général du film se fraye subtilement un passage entre ces deux extrêmes, Gray tournant délibérément le dos à tout recours à des exagérations démonstratives pour se concentrer sur les sentiments de ses personnages. Ce qui est plutôt rafraichissant en ces temps où l'on sacrifie volontiers la structure aux apparences.
La narration du film repose dans un premier temps sur les relations qui se tissent entre les différents personnages secondaires et Léonard, centre de toutes les attentions et référent pour le spectateur. Incarné par Joaquin Phoenix, un jeune acteur qui commence depuis quelques années à se faire de plus en plus remarquer (et qui en est maintenant à son troisième film réalisé par James Gray, après The Yard et La Nuit nous appartient.) Léonard est présent dans la majorité des plans et c'est au travers de son point de vue que nous découvrons l'histoire. Léonard est un jeune homme troublé et ballotté par ses émotions. Il a bien du mal à faire face au dilemme qui s'offre à lui. Et rêveur, il tombera amoureux d'une jolie illusion pour finir démuni face aux tours cruels que peut jouer la vie.
Mais le film ne se contente pas de simplement raconter l'histoire de ce jeune homme. Très intelligemment, Gray camoufle le triangle amoureux de son intrigue en donnant une place importante au contexte familial dans lequel se déroule l'histoire. Ce thème qui lui est très cher donne aux amours du héros une portée symbolique fascinante. Et finalement le personnage de Léonard n'est pas tant attiré par Michelle que par les possibilités d'évasion qu'elle représente. Prisonnier d'un cadre familial étouffant et pesant qui se manifeste à chaque instant de son quotidien, Léonard aimerait bien se soustraire à cette pression constante qui l'écrase. Comme il l'avoue à Michelle lors d'un passage du film, dans sa famille il se sent «comme mort» et finalement sa seule possibilité d'évasion passe par cet amour fou et incontrôlable pour cette jeune femme fragile qu'il idéalise rapidement. Fantasmé, son amour n'en est que plus fort et ce n'est que dans le rêve d'atteindre l'inaccessible pour échapper à une réalité oppressante que Léonard parviendra à trouver un peu de bonheur.
Face à Michelle, Sandra est plutôt absente des images du film. En effet elle est très rapidement remplacée par la famille de Léonard qui occupe une place à l'écran bien plus importante que celle de la jolie brune. Quoi de plus normal puisque le héros ne voit en Sandra que les désirs de ses parents, qui n'auront de cesse de le pousser vers elle.

Toute cette dimension symbolique donnée aux personnages ne les inscrit cependant pas dans des clichés, mais leur donne au contraire une épaisseur supplémentaire qui fait toute la richesse du film. En outre, toute cette galerie de personnages secondaires bénéficie d'une interprétation largement à la hauteur. On remarquera tout particulièrement l'interprétation de la jolie Gwyneth Paltrow, très bien dans le rôle de Michelle, et surtout la présence de la toujours sublime Isabella Rossellini,  tout simplement parfaite dans le rôle de la mère de Léonard.
Cependant, malgré ces évidentes qualités, le film n'est pas exempt de maladresses. Ses défauts se retrouvent principalement au niveau du rythme, qui souffre peut-être d'une demi-heure de trop. Cela se ressent surtout en milieu de métrage. En outre on n'échappe pas à quelques tunnels de dialogues longuets et d'un intérêt plus que relatif. Mais si ces défauts plombent quelque peu le déroulement de l'intrigue, toute la partie finale se révèle suffisamment passionnante et maîtrisée pour relever le niveau. Et on ne va pas bouder notre plaisir pour quelques longueurs, d'autant que la mise en scène est assez travaillée et recèle de très belles choses. Comme par exemple ces conversations téléphoniques entre Léonard et Michelle, filmées depuis la cour intérieure de leur immeuble sous un tas d'angles intéressants qui dynamisent le champ/contrechamp et dont le son nous parvient à chaque fois du téléphone de la personne qui écoute. Ou encore cette splendide scène d'introduction où la caméra suit le personnage principal dans sa tentative de suicide sous-marine. Gray exploite avec bonheur une large échelle de plans et ne se prive jamais de jouer de manière discrète avec le son. Enfin de manière générale le film bénéficie d'un très grand soin apporté à la photo, toute en teintes grisâtres et brunes. Le très bon travail du directeur de la photo Joaquín Baca-Asay (qui avait déjà occupé ce poste sur La nuit nous appartient) donne au film une esthétique de polar nocturne et réaliste qui n'est pas pour rien dans sa réussite et qui vient brillamment se substituer aux dialogues pour prendre une part active dans la narration.
Bref, sans être un chef d'œuvre, Two lovers se révèle être un petit film tout à fait intéressant tant par les thèmes qu'il développe que par l'approche originale dont il fait preuve. On aurait bien tort de s'en priver.

7 novembre 2010

Quantum of Solace

 2008
Origine : Royaume-Uni / USA
Genre : Action
Réalisation : Marc Forster
Avec : Daniel Craig, Olga Kurylenko, Mathieu Amalric, Judi Dench...

Suite directe de Casino Royale, Quantum of Solace commence non seulement là où le premier film se terminait, mais il s'inscrit également dans la même optique de création d'un « nouveau James Bond ». Casino Royale avait en effet posé timidement les bases d'un renouveau du héros, n'osant cependant pas encore totalement s'affranchir de la recette qui avait fait le succès de la série. En effet, malgré un habillage réaliste les principaux ingrédients propres aux James Bond restaient relativement présents et le film correspondait bien a ce cocktail d'action, d'exotisme, d'aventure et d'humour, même si l'accent semblait être mis cette fois sur l'action aux dépends de l'humour. Rien de bien nouveau dans le procédé cependant, puisqu'on avait déjà pu assister à la tentative de création d'un James Bond plus humain et plus réaliste sous les traits de Timothy Dalton. Et finalement la seule véritable innovation de Casino Royale restait encore le présence d'une mise en scène très dynamique lors des scènes d'actions n'étant pas sans évoquer celles de la trilogie Jason Bourne.
Quantum of Solace poursuit donc cette optique en multipliant les scènes d'actions et en adoptant un ton plus sérieux encore au point que l'humour y est totalement absent.

Ce nouveau film lance James Bond à la poursuite des assassins de sa belle qu'il est déterminé à venger. Mais sa traque le mettra sur la piste d'une organisation criminelle mystérieuse et tentaculaire...
L'intrigue, relativement linéaire, démarre cependant sur les chapeaux de roue et regorge de scènes d'action nombreuses et mouvementées qui s'enchaînent sans temps morts. Dès lors, il y a finalement peu de place pour développer les personnages qui sont d'ailleurs identiques à ce qu'ils pouvaient être dans Casino Royale dans le cas de M, James Bond et Matisse et quasi-inexistants pour les nouveaux, que ce soit les James Bond girls ou le méchant. On retrouve aussi ce héros froid et vindicatif qui se met à dos ses supérieurs pour mener à bien sa quête vengeresse qui était déjà présent dans Permis de Tuer
Hélas, à coté de Craig les autres acteurs ne sont pas particulièrement brillants. Judi Dench qui incarnait pourtant une M tout à fait honorable dans la période Brosnan voit sa crédibilité diminuer alors même que sa présence à l'écran augmente, et son rôle de supérieure / mère qui gronde James comme un enfant trop turbulent risque de devenir très vite insupportable pour le spectateur. Et que dire de Mathieu Amalric déjà pas favorisé par le rôle d'un méchant « réaliste » (comprendre par là qu'en lieu et place d'un savoureux mégalomane qui menace le monde on a droit à un type banal dont le plan machiavélique consiste à acheter un truc pour le revendre plus cher...) qui est quasiment transparent à l'écran ? Finalement celle qui s'en sort le mieux dans le casting c'est encore Olga Kurylenko qui arrive à ne pas être trop insupportable (et même jolie !) malgré son rôle stéréotypé.
Évidemment, face à de tels personnages les acteurs ne pouvaient jamais réellement sortir leur épingle du jeu, et sans doute faut-il bien plus jeter la pierre au réalisateur Marc Forster qui semble être un bien piètre directeur d'acteurs.
D'autant que du coté de la mise en scène ce n'est pas brillant non plus. C'est même plutôt catastrophique en fait et je me demande vraiment ce qui a bien pu lui passer par la tête au vu de quelques scènes qui brillent par leur inutilité abyssale. Comme par exemple cette course-poursuite dans les rues de Sienne qui nous montre en montage alterné James Bond poursuivant un assassin et... une course de chevaux n'ayant évidement aucun rapport avec l'intrigue. En fait j'ai l'impression que Forster utilise ces procédés de mise en scène pour tenter de dynamiser de manière complètement artificielle (et vaine puisque cela ne fonctionne pas du tout) ces scènes d'actions. Et tout semble porter à croire qu'il fait partie de cette bande de metteurs en scènes qui n'ont rien compris à ce que doit être une scène d'action et qui pensent qu'il suffit d'enchaîner très rapidement les plans dans un montage épileptique pour les rendre dynamiques. Heureusement que l'échelle de plans varie un peu, rompant parfois la monotonie de la mise en scène. Mais ce n'est pas pour autant que Marc Forster parvient à créer quelque chose de personnel de son film. En fait c'est là le défaut principal d'un film qui aurait pu être très bon au vu de ses intentions (faire quelque chose de rythmé et réaliste à la fois) et de ses idées (rendre les personnages plus humains, utiliser l'actualité géopolitique dans l'intrigue...) qui se voient gâchées par un traitement parfois désastreux. En effet, cette mise en scène fade et cette absence de soin portée aux personnages annihilent toute tension dramatique. Jamais les personnages n'ont l'air en danger, et le film est vide d'enjeux. Du coup les tentatives de communiquer des émotions aux spectateur tombent la plus part du temps à plat.

Au final, anonyme et manquant d'ambition, Quantum of Solace apparaît comme un simple blockbuster d'action de plus. Le réalisateur n'a d'autre but que de divertir le spectateur le temps de son film. Ce qui n'est cependant pas condamnable non plus, l'abondance de scènes d'actions et le charisme de Daniel Craig rendent quand même le film tout à fait divertissant et regardable. Mais si cela permet à ce nouveau James Bond de se placer au dessus des soporifiques Dangereusement vôtreMeurs un autre jour, on est quand même très loin de la qualité des James Bond des années 60. avec Timothy Dalton. De fait le « nouveau James Bond » s'incarne moins dans le traitement du personnage que dans l'acteur Daniel Craig, dont le physique athlétique et le visage taillé à la serpe participent à donner aux scènes d'actions ce caractère brut de décoffrage souhaité. De loin l'élément le plus convaincant du film, Daniel Craig confirme ici qu'il était un choix judicieux pour incarner James Bond. Il est parfaitement à l'aise dans le costume du héros quelles que soit les circonstances et son visage expressif apporte une évidente épaisseur à un personnage qui en avait bien besoin, surtout après avoir été incarné par le très fade Pierce Brosnan. et autres

7 novembre 2010

Faust



Faust: Love of the damned
2001
Origine: États Unis / Espagne
Genre: Horreur
Réalisateur: Brian Yuzna
Avec: Mark Frost, Isabel Brook, Jennifer Rope, Jeffrey Combs...

Bien qu'il repose en paix depuis maintenant un sacré bout de temps, ce brave Goethe aurait sans doute écarquillé tout grand ses yeux d'incrédulité s'il avait pu voir son Faust ainsi transformé en série B bruyante et saignante. Mais il faut quand même dire que le film de Brian Yuzna ne se base finalement pas du tout sur l'œuvre de Goethe, mais sur un comics de Tim Vigil et David Quinn intitulé Faust: Love of the damned qui reprend vaguement le mythe de Faust (qui vend son âme au diable tout ça...) pour livrer une bd furieusement violente et érotique où le bon Faust est devenu un vengeur masqué décapitant les méchants par paquets de douze à l'aide de longues griffes d'acier fixées à ses poignets (ce qui, il faut bien l'avouer est quand même plus excitant que de la littérature allemande du XIXe siècle. Sauf, évidemment, si ladite littérature est adaptée au cinéma par Murnau, mais ça c'est encore une autre histoire).

Bref, ce Faust là puise largement dans le style graphique du comics de Tim Vigil et David Quinn pour nous raconter la tragique histoire de John Jasper, un artiste bien déprimé après que des malfrats aient massacré sa copine pour je ne sais plus quelle raison sans importance. Le pauvre Jasper est donc sur le point de sauter du haut d'un pont quand le mystérieux M (pour Méphistophélès donc...) apparaît et lui propose un pacte plutôt cool : en échange de son âme, Jasper peut devenir Faust, à savoir une sorte de super vilain invincible au costume aussi rouge que ridicule et surtout possesseur de grandes griffes d'acier sacrément pratiques pour buter la gueule des vilain malfrats qui ont embêté sa copine...


Bon alors par dessus se greffe une simili intrigue policière dont le seul intérêt est de faire intervenir un gentil flic épris de justice mais surtout incarné par ce bon vieux Jeffrey Combs, ce qui fait toujours bien plaisir. Mais à part ça l'intérêt du scénario se réduit vraiment à servir de lien entre les nombreuses scènes gores, visqueuses et perverses du film. Brian Yuzna n'a finalement jamais vraiment fait autre chose, mais je m'en suis toujours très bien contenté pour ma part. Le bonhomme nous balance donc les prémices de son histoire à la figure en deux temps, trois mouvements et s'en désintéressera très rapidement par la suite, se contentant de faire intervenir ici et là quelques passages explicatifs destinés à faire avancer l'intrigue. Laquelle avance d'ailleurs à une vitesse peu commune, enchainant les péripéties des héros à un rythme d'enfer. Yuzna rythme son film avec une maitrise qu'on croyait disparue et qui n'est pas sans nous rappeler les heures de gloire de la série B horrifique.
Enfin, ainsi débarrassé d'un scénario dont on se contrefoutait de toute façon, Yuzna peut alors pleinement se concentrer sur les aspects les plus visuels de son film: mise en scène, esthétique et effets spéciaux.
La mise en scène reste assez discrète et sert principalement à mettre en valeur les effets spéciaux. Toutefois ce n'est pas parce qu'on ne remarque pas de mouvements de caméra sophistiqués que la réalisation n'est pas de bonne facture. Au contraire, Yuzna compose ses plans avec simplicité et savoir faire et fait preuve d'un sens du montage d'une parfaite efficacité. Et au final sa mise en scène met parfaitement bien en valeur l'esthétique baroque du film, notamment grâce à un jeu de lumières assez travaillé. Et au milieu de tout un décorum baroque souvent très soigné, surgissent maquillages et autres effets latexo-gores signés Screaming Mad George. Vieux collaborateur de Yuzna depuis Society  Screaming Mad George réalise des choses très belles et très sanglantes, qui volent facilement la vedette aux quelques effets virtuels très cheaps (mais aussi très rigolos). Les effets spéciaux sont caractérisés par un sens assez aigu du grotesque (la nana dont le cul et les seins gonflent démesurément...) qui jure admirablement avec les atours baroques dont semblait se parer le film. D'autant plus que tout ceci est traité avec un imperturbable sérieux et avec une volonté manifeste d'en donner pour son argent au spectateur. Dans un esprit très années 80 les scènes de sexe et de violence s'enchaînent sur fond de hard-rock tonitruant et dans une bonne humeur communicative. Dans le même ordre d'idée, Mark Frost endossant le costume rouge et cornu de Faust constitue à lui seul une excellente raison de voir le film. En effet, quel bonheur de voir l'acteur gesticuler et grimacer avec le plus grand sérieux dans son costume moulant et sublimement ridicule ! Qui plus est le personnage est un adepte de la punchline à la Freddy Krueger et même s'il n'égale pas le tueur de Elm Street, il possède un charisme assez marqué.
La simplicité de ses arguments (nombre de morts élevés et design original) et le soin apporté à sa réalisation empêchant le film de se classer parmi les nanars, nous sommes bel et bien en présence d'une série B de très bonne facture qui entreprend de divertir l'amateur du genre sans prétention. Bref, ce Faust version Yuzna est tout à fait sympathique !

7 novembre 2010

Mad détective

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Sun Taam

2007
Origine : Hong Kong
Genre : Polar fou
Réalisation : Johnnie To & Wai Ka-fai
Avec: Lau Ching Wan, Andy On, Lam Ka-Tung, Kelly Lin...

Depuis maintenant quelques années, Johnnie To semble s'être imposé comme le principal auteur du renouveau du polar Hongkongais face à un John Woo absent depuis son exil au pays de l'oncle Sam ou à un Ringo Lam qui, malgré un talent évident, ne parvient pas à imprimer sa personnalité sur la pellicule aussi bien que Johnnie To. Le très prolifique réalisateur Hongkongais (sa filmographie comptera bientôt 50 films) a marqué les esprits à plusieurs reprises par la virtuosité de sa mise en scène notamment lors des mémorables gunfights stylisés et homériques qui parsèment ces films. A tel point en fait, que ce type de scène de fusillade est quasiment devenu un gimmick propre à son cinéma, non dénué d'un certain automatisme plutôt froid. Sans doute conscient de cet état de fait et soucieux d'éviter les redites, Johnnie To essaye depuis quelques années de se renouveler au moyen de scénarios qui sortent du lot. Mad Detective est un de ces films là. Mais si le fantastique scénario du film sort indubitablement des sentiers battus, Johnnie To ne parvient pas réellement à s'affranchir de ses gimmicks. Le résultat n'en est pas déplaisant pour autant.

L'inspecteur Ho Ka-on patauge dans une affaire particulièrement obscure impliquant un mystérieux braqueur qui utilise l'arme d'un policier porté disparu pour commettre des braquages très violents. Il décide alors de solliciter le concours de son ancien supérieur, l'inspecteur Bun, à la retraite depuis qu'il a offert son oreille découpée aux ciseaux à son chef partant en retraite et célèbre pour avoir résolu un grand nombre d'enquêtes grâce à ses méthodes complètements absurdes et ses visions dignes d'un fou...

La paternité de ce scénario revient à Au Kin-yee et surtout à Wai Ka-fai, précieux collaborateur de la société Milkyway Image (fondée par Johnnie To) et qui co-réalise Mad Detective avec To (ce qui n'est pas une première puisque les deux réalisateurs avaient déjà co-réalisé un paquet d'autres films, dont Fulltime Killer et Running On Karma). En tout cas, on ne pourra que saluer le travail des deux scénaristes qui ont parfaitement réussi leur coup en livrant cette histoire très originale et pleine de scènes pour le moins inédites, mais surtout correctement ficelée et dans laquelle les hallucinations du personnage principal ne servent pas d'excuse pour maquiller un polar classique mais participent vraiment à la narration du film. Ce qui est tout de même assez rare pour être signalé. En cela, Mad Detective est vraiment original et ne manquera pas de surprendre et d'amuser les spectateurs curieux. D'autant plus que le ton du film, oscillant sans arrêt entre des séquences très noires et d'autres bien plus comiques participe à la création de cette ambiance très particulière dans laquelle baigne le film. La scène d'ouverture plongeant immédiatement le spectateur dans cette atmosphère, surtout grâce à ce passage fantastique où l'on voit Bun ordonner à un policier de l'enfermer dans une valise et de le balancer dans les escaliers pour ainsi vivre la même expérience qu'une victime puis ressortir de la valise après sa dégringolade, chancelant mais connaissant l'identité du coupable ! Incarné par l'acteur Lau Ching Wan qui semble vouloir battre Jack Nicholson sur son propre terrain (je ne saurais dire s'il y réussi complètement mais en tout cas il s'en rapproche beaucoup), le personnage de l'inspecteur Bun porte presque tout le film sur ses épaules. Un pari tout de même plutôt risqué, puisqu'il n'est pas aisé pour le spectateur de s'identifier à ce héros aliéné et absurde qui croit dur comme fer à ses visions. Mais sur ce point Johnnie To et Wai Ka-fai se montrent très habiles en jouant sur les différents points de vue, qui se placent en contrepoint donnant souvent deux éclairages différents à une même scène, ce qui est assez déstabilisant. D'autant plus que les visions de Bun (qui se matérialisent principalement par des personnages inexistants qui viennent lui parler) commencent toujours par nous êtres montrées comme réelles, jusqu'à ce que les réalisateurs dévoilent leur véritable nature en nous montrant le point de vue de Ho Ka-on ou d'un autre personnage "sain" du film. Mais ça ne s'arrête pas là, puisque les visions de Bun ont toujours une incidence directe sur la réalité soit parce qu'elles déterminent l'attitude de Bun et des autres personnages, soit, plus déroutant encore, parce que ce qui nous était clairement montré comme des hallucinations finit quand même par exister réellement (c'est le cas de tous les coupables que Bun parvient à identifier grâce à ses visions). Bref, le film est aussi fou et déstabilisant que son personnage principal. Et très vite les réalisateurs et le spectateur finissent par se désintéresser de l'enquête policière pour se concentrer sur ces relations absurdes entre les différents personnages. En effet, les visions de Bun viennent sans cesse parasiter le bon déroulement de l'enquête et finissent par ne faire ressembler le film à aucun autre.
Cependant, on retrouve quand même dedans un bon nombre de caractéristiques propres aux polars HK en général et au cinéma de Johnnie To en particulier. Les amateurs du réalisateur ne seront donc pas totalement en terrain inconnu et pourront s'amuser à lister les scènes de Mad Detective qui sont empruntées à d'autres de ses films ou qui utilisent les éléments du polar HK (comme ce gunfight final qui utilise abondamment les jeu de miroirs). Mais les deux réalisateurs ont toutefois le bon goût d'utiliser toutes ces références et ces gimmicks à bon escient, c'est à dire pour nous surprendre en détournant les codes du genre l'air de rien. En témoigne cette scène de filature qui ne se déroule pas avec seulement un personnage qui suit l'autre comme d'habitude, mais avec non seulement tout un tas de personnages différents (personnages qui en réalité n'existent pas, puisque ce sont les sept (!) personnalités du suspect que suit Bun) mais en plus leur nombre change selon les plans et le point de vue du personnage qu'illustre la caméra ! Le résultat à l'écran parait très naturel et tout à fait dans le ton du film, mais l'idée est véritablement déroutante. Dans le même ordre d'idée, dans la fameuse scène finale, les miroirs ne reflètent pas les personnages réels, mais leurs différentes personnalités représentées chacune par un autre personnage que seul Bun parvient à voir. L'idée est très belle, et en plus elle insiste encore sur l'ambiguïté de ces visions, renforçant leur caractère potentiellement réaliste et utilisant le miroir comme un révélateur d'une illusion qui serait la réalité que nous percevons.

A l'image de la très belle affiche du film, Johnnie To semble avoir rassemblé de manière disparate des morceaux de ses précédents films comme des bouts de miroirs avec comme lien la folie pour créer quelque chose de totalement nouveau. Mad Detective est un film qui part d'une enquête a priori tout à fait classique mais qui finit par l'éclater complètement pour s'intéresser à ses personnages.
Un film déroutant et à part qui prouve à ceux qui en douteraient encore que Johnnie To n'est pas le simple faiseur qu'on l'accuse d'être parfois.

7 novembre 2010

Révélations

i6

The Insider
1999
Origine: USA
Genre: Thriller journalistique
Réalisateur: Michael Mann
Avec: Al Pacino, Russel Crowe, Christopher Plummer, Gina Gershon...


Après avoir connu à plusieurs reprises de cuisants échecs publics avec ses films, Michael Mann voit enfin son talent reconnu et devient une valeur sûre pour les producteurs après avoir tourné Le Dernier des Mohicans puis Heat, qui attirent tous deux les spectateurs en masse. C'est en préparant le tournage de Heat que Michael Mann rencontre Lowell Bergman, producteur de l'émission 60 Minutes sur CBS. Mann est alors intéressé par l'adaptation d'un fait réel concernant un important trafic d'armes. Mais le projet ne se fera jamais, le réalisateur étant trop occupé par le tournage de son film. Entre temps la presse New Yorkaise se fait l'écho d'une affaire qui deviendra rapidement un scandale : Jeffrey Wigand, ancien vice-président du secteur recherche et développement de la Brown & Williamson Tobacco Corporation, s'associe avec  Lowell Bergman pour témoigner contre Brown & Williamson et dénoncer leurs méthodes. Mais, les deux hommes sont victimes de pressions de la part de l'industrie pour empêcher la diffusion de l'émission contenant l'interview de Wigand. L'émission finit par être diffusée le 4 février 1996, suite à quoi l'entreprise Brown & Williamson attaque Wigand en justice avant de finalement abandonner le procès suite à une entente entre les procureurs généraux d'une quarantaine d'États américains et l'industrie du tabac.

Michael Mann achète les droits de l'article sur l'affaire paru dans Vanity fair et s'attèle à l'écriture d'un scénario en compagnie de Eric Roth (auteur entre autres du scénario de Forrest Gump et qui retravaillera avec Mann pour Ali). Il rappelle Al Pacino pour incarner Lowell Bergman et déniche Russel Crowe, révélé par le rôle de Bud White dans L.A. confidential mais contacte aussi quelques personnes pour qu'elles jouent leur propre rôle, comme c'est le cas par exemple pour Michael Moore (pas le cinéaste, mais le District Attorney du Mississipi).
Ainsi, le film suit et explicite de manière relativement fidèle l'affaire qui a vu s'opposer Jeffrey Wigand et Lowell Bergman aux industriels du tabac. Mais malgré la réutilisation des noms dans le film, la présence de personnes ayant eu un lien avec l'affaire au casting et le statut « d'histoire vraie » du scénario, Mann délaisse volontairement tout l'aspect documentaire qu'on aurait pu imaginer. Et finalement Révélations fait bien plus que de simplement relater des faits : il explore tout un panel d'émotions, donnant au film une profondeur et un impact particulièrement forts. Le véritable intérêt ne résidant pas tellement dans l'histoire qu'il développe mais dans les êtres humains qui en sont les acteurs.
Dès lors, le film ne raconte pas tant l'histoire d'un journaliste et d'un scientifique qui se battent contre l'entreprise Brown & Williamson en particulier que celle de deux hommes qui s'élèvent contre les intérêts de l'entreprise la plus capitaliste qui soit. De la même manière que Les Hommes du président partait d'un scandale très particulier pour nous livrer un message bien plus général sur le rôle que doivent jouer les médias dans la dénonciation de toute pratique condamnable motivée par un intérêt politique, Révélations opte pour la forme du thriller journalistique afin de dresser le portrait désabusé d'une société gouvernée non plus par la politique, mais par l'argent. Un monde dans lequel l'individu ne fait plus le poids face à l'argent et dans lequel les bénéfices des industriels du tabac passent avant toute question de santé publique. Et plutôt que de s'intéresser aux propriétés cancérigènes de la cigarette en elle même, le film évite l'écueil moralisateur en condamnant avant tout les pratiques mises en œuvre par Brown & Williamson pour étouffer l'affaire et empêcher à tout prix la diffusion du témoignage de Jeffrey Wigand. Cela va de l'intimidation à l'attaque en justice en passant par une large campagne de diffamation visant à décrédibiliser Wigand. Pour protéger ses intérêts, l'industrie va jusqu'à détruire la vie de l'individu qui a tenté de se dresser contre elle. Elle apparaît presque comme une mafia, sans visage et présente partout, toute puissante grâce à ses millions de dollars. Michael Mann insiste habilement sur  ce sentiment de paranoïa naissante, qu'il parvient à faire ressentir au spectateur via de très belles séquences de suspense. En outre Wigand nous apparaît comme minuscule, incarné par un Russel Crowe bedonnant et au regard apeuré, impuissant face à un ennemi difficilement identifiable et gigantesque. Engagé dans un combat déloyal il nous semble déjà condamné.

Ainsi le thème du film est surtout celui du combat de l'individu contre un système capitaliste qui fait passer l'argent avant tout. Mais il traite aussi des médias, de l'entreprise, de la justice, de la famille, etc... et finalement c'est un portrait assez complet du fonctionnement (ou des dysfonctionnements?) de nos sociétés occidentales que le film propose. Un portait qui n'est pas beau à voir et qui fait réfléchir. Et paradoxalement, si Révélations parvient ainsi à questionner le spectateur et à l'amener à réfléchir, c'est parce qu'il l'implique émotionellement dans chaque scène. Il donne ainsi à son message un poids concret en permettant au spectateur de s'identifier aux personnages, et une portée universelle en mettant l'humain au centre de toutes les questions.
Cette implication émotionnelle passe inévitablement par une grande dramatisation de l'intrigue qui comporte alors des scènes de suspense, des passages poignants, émouvants, etc. Il s'agit de rendre le film vivant et de faire passer toutes ces émotions par une mise en images des sentiments des personnages. Et en fin de compte c'est sur ce point précis que le film acquiert un statut de réussite incontestable. D'une part parce que les émotions servent à donner à la description de la société que propose le film un aspect particulièrement sombre, plutôt que de distraire le spectateur, et d'autre part parce que Michael Mann se révèle être un véritable artiste parvenant à retranscrire via ses images des choses aussi immatérielles que les émotions de ses personnages. Pour cela il déploie avec talent tout l'attirail mis à sa disposition par le langage cinématographique, n'hésitant pas parfois à transgresser avec efficacité des règles parmi les plus fondamentales du cinéma. Comme par exemple lors de ces scènes de dialogues, filmées en champ-contrechamp, où le réalisateur transgresse à plusieurs reprises la loi des 180° (c'est à dire le fait que la caméra doit toujours se trouver du même coté de la ligne imaginaire joignant les deux personnages qui discutent, sous peine d'empêcher le spectateur de se représenter la scène dans l'espace) de manière à signifier de façon quasi invisible que le rapport de force entre les deux personnages qui discutent à changé ! De la même manière, Michael Mann joue avec l'échelle des plans, avec ses cadrages et avec la profondeur de champ pour à chaque fois figurer les sentiments du personnage filmé. À ces procédés de mise en scènes que le spectateur ne perçoit pas, mais qu'il ressent, s'ajoutent des méthodes plus identifiables qui reposent sur le jeu des acteurs et sur l'utilisation de la musique. Enfin, la couleur émotionnelle de chaque scène est aussi figurée par la beauté frappante des images du film. Dante Spinotti, directeur de la photo sur tous les films de Michael Mann depuis le splendide Manhunter (à l'exception toutefois de L.A. Takedown que Mann tourne pour la télévision en 89) fournit encore une fois un travail remarquable et donne aux images filmées par Michael Mann cette beauté froide qui convient si bien aux sujets traités par le réalisateur.

Ainsi, en choisissant de traiter son sujet presque comme une histoire de fiction très dramatisée et en s'éloignant au maximum d'une conception documentaire du cinéma, Michael Mann parvient à faire de Révélations un très grand film et une référence en matière de thriller qui mérite de devenir un classique du genre et un modèle à suivre.

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